August 10, 2016

sixty!



Un jour d'été ordinaire, on frappa à la porte d'une petite maison précédée d'un jardinet où tomates, poivrons, aubergines, courgettes, salades, fruits, foisonnaient avec des fleurs d'ornements et des plantes médicinales. Un jardin de simples en somme. L'homme qui ouvrit reconnut instantanément la visiteuse et d'un geste aussi rapide que possible, il tenta de refermer la porte alors qu'elle demandait avec un large sourire :

- puis-je entrer ?

Hélas, c'était sans compter sur le don de prescience de Tyrannie qui enfila son pied bien chaussé entre le chambranle et l'huis. D'une poigne non moins solide, elle poussa la porte et entra avec la ferme intention de s'installer sans délai et à demeure.

Une fois rentrée, enfants, femme et mari, animaux, de même que le jardin, tous furent soumis à sa volonté, les uns pour la nourrir, les autres pour la border, ou bien la divertir et quels que fussent ses désirs, ils furent exécutés sous les menaces les plus simples aux plus élaborées.

La vie se poursuivit ainsi, année après année, au grand plaisir de Tyrannie gourmande et insatiable, dont la méfiance la portait à tout contrôler, des plats aux paroles échangées entre ses hôtes.

Un jour de cueillette estivale, l'homme et la femme s'activant, mirent la main ensemble sur une petite plante à l'air chétif et sans un mot, d'un seul regard, prirent quelques feuilles que la femme ajouta jour après jour à la nourriture de la visiteuse.

Tyrannie se mit à faiblir progressivement, allant au lit le soir plus tôt que d'ordinaire, y trainant davantage le matin, respirant avec quelques difficultés, montrant des signes de faiblesse dans ses ordres et punitions.

Un matin, Tyrannie ne put se lever. L'homme et la femme entrèrent dans la chambre et la prenant sous les bras, ils la trainèrent sans ménagement jusque devant la porte du jardin.

L'homme, essoufflé par tant d'efforts, se redressa et dit :

- non.


(d'après Bertold Brecht)







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